LactoBloodLab - Contribution à la compréhension des variations de la lactosémie chez la vache laitière

Étude du flux de lactose du lait vers le sang chez la vache laitière. Analyse des variations de lactosémie pour améliorer le suivi du bilan énergétique et de la santé mammaire.
Auteur·rice

Nicolas Decoopman

Mots clés

lactose, vache laitière, lactosémie, santé mammaire, bilan énergétique, production laitière, nutrition animale

Comprendre la baisse du lactose du lait en mesurant les fuites vers le sang afin de définir des indicateurs de lactosémie destinés aux organismes de conseil en élevage pour une intégration dans les outils d’aide à la décision.

1 Contexte et problématique

Les organismes de conseil en élevage (BCEL Ouest, Eilyps, Conseil Elevage 25-90) envisagent d’intégrer le taux de lactose du lait comme indicateur pratique d’un déficit énergétique en début de lactation (1) ; de la santé de la mamelle, en particulier du risque d’inflammation intramammaire. La pertinence de cet indicateur dépend toutefois de la compréhension fine de ses variations. Bien que la synthèse du lactose soit strictement mammaire, le lactose n’est pas confiné au lait : il passe, par perméabilité épithéliale, dans la circulation sanguine. On observe donc systématiquement du lactose dans le plasma (lactosémie) des vaches en lactation, avec une variabilité importante (2).

Jusqu’ici, les facteurs de variation du taux de lactose du lait étaient mieux décrits que ceux de la lactosémie, et les deux phénomènes étaient rarement étudiés conjointement. De plus, certains mécanismes présumés (perméabilité des jonctions serrées, distension alvéolaire, effet de l’inflammation) restaient à quantifier.

Ainsi, on se demande : dans quelles conditions et dans quelle mesure la lactosémie contribue-t-elle aux variations du taux de lactose du lait ?

2 Données

Les données utilisées pour l’analyse sont issues d’expérimentations réalisées de 2009 à 2013 à la ferme expérimentale INRA de Méjusseaume (Bretagne, France). Ces expérimentations consistaient à étudier la variabilité individuelle des réponses des vaches laitières Prim’Holstein à l’omission d’une seule traite (3). Les données analysées proviennent de la période témoin de cet essai où les animaux étaient traits deux fois par jour, à environ 6h30 et 16h30. Cette période d’une semaine, codée de J1 à J7, comprenait 766 observations. Les observations ont été filtrées (seuils de production, stade supérieur à 308j, variation sanitaire) pour retenir 640 observations équilibrées sur une semaine (J1-J7). Chaque enregistrement rassemble statut physiologique (parité, jours en lait, poids, NEC), conduite (pâturage ou ration à l’auge), performances laitières (volume, teneurs et quantités de lactose, matière grasse ou protéique) et lactosémie mesurée 1h avant la traite du soir au J6. Le détail est disponible dans l’étude complète (4).

3 Approche et méthologie

Deux approches complémentaires ont été mobilisées :

  1. Modélisation statistique
  • Analyse des effets des facteurs de variation (parité, inflammation, matière grasse, etc.) sur la lactosémie et le taux de lactose du lait
  • Estimation de la part des variations du lactose laitier expliquée par la lactosémie
  1. Modélisation dynamique mécanistique
  • Estimation des flux de lactose passant de la mamelle vers le sang entre deux traites
  • Simulation des quantités de lactose transférées pour différentes conditions physiologiques

4 Résultats

Les vaches laitières en lactation présentent parfois des quantités non négligeables de lactose dans leur plasma sanguin : la lactosémie moyenne chez les Prim’Holstein est de 21,9 ± 11,7 mg/L. Les résultats de cette étude confirment l’effet du passage du lactose dans le sang sur le taux de lactose du lait qui diminue de -0,04 ± 0,01 g/kg par unité de lactosémie (mg/L). Les analyses ont mis en évidence plusieurs facteurs de variation communs à la lactosémie et au taux de lactose du lait, avec des effets quantifiés (4) :

  • Parité : en fin de lactation, les vaches multipares présentent une lactosémie supérieure de 5,1 ± 1,7 mg/L à celle des primipares, ce qui est associé à un taux de lactose inférieur de 1,6 ± 0,3 g/kg chez les multipares, toutes périodes confondues​.
  • Stade de lactation : chez les multipares, la lactosémie augmente significativement en milieu et fin de lactation (+5,1 ± 1,1 mg/L), alors qu’elle reste stable chez les primipares.
  • Matière grasse laitière : une hausse de 100 g de matière grasse est associée à une augmentation de +0,6 ± 0,3 mg/L de lactosémie en début de lactation, et à une hausse du taux de lactose de +1,0 ± 0,4 g/kg chez les multipares​.
  • Inflammation mammaire (SCS) : chaque unité supplémentaire de SCS (soit un doublement du CCS) induit une hausse de +1,5 ± 0,2 mg/L de lactosémie, et une baisse du taux de lactose de –0,2 à –0,4 ± 0,1 g/kg, selon la parité.

Ces résultats montrent que la perméabilité de l’épithélium mammaire, modulée par l’âge, le remplissage alvéolaire ou l’état inflammatoire, explique en partie les variations inverses observées entre lactosémie et le taux de lactose du lait. Le modèle statistique indique que jusqu’à 22,5 ± 10,6% des variations du taux de lactose du lait pourraient être expliquées par la lactosémie en cas d’inflammation mammaire, ce qui souligne l’intérêt d’une interprétation intégrée de ces indicateurs en élevage (5).

Le modèle mécanistique estime que pour une vache multipare sans inflammation, 2,1 g/12h ou 130 g/24h de lactose peuvent passer du lait vers le sang. Ce transfert pourrait entièrement expliquer les variations du taux de lactose du lait dans certains cas (4).

5 Technologies utilisées

L’ensemble de l’analyse a été réalisé sous R avec l’environnement RStudio (6) et les packages sont listés en annexe 1. Le traitement des données a nécessité une phase de prétraitement rigoureuse (transformation des variables, création d’indicateurs comme le SCS, filtrage qualité), automatisée par scripts. Un soin particulier a été apporté à la reproductibilité. Cette expérience m’a permis de consolider ma maîtrise des outils statistiques et de visualisation de données en R, dans un cadre expérimental rigoureux. Cette approche met en œuvre un socle de compétences en statistique appliquée, modélisation multivariée et traitement de données biologiques, avec un accent sur la validité mathématique des résultats (normalité, multicolinéarité, variance expliquée).

6 Difficultés et leçons apprises

L’un des principaux défis a été de gérer l’hétérogénéité des données biologiques, notamment la variabilité inter-individuelle élevée et la non-normalité des distributions (lactosémie, CCS). Cela a nécessité des transformations spécifiques (log, SCS), ainsi qu’une sélection rigoureuse des observations valides pour garantir la robustesse des modèles. L’interprétation des modèles linéaires mixtes s’est aussi révélée exigeante, en particulier pour distinguer les effets fixés des effets aléatoires et en assurer la significativité dans un contexte à données corrélées.

Cette expérience m’a appris à adopter une approche méthodique, en combinant exploration visuelle, validation statistique et modélisation hiérarchisée. Elle m’a également permis de renforcer ma capacité à communiquer des résultats complexes de manière claire, en croisant rigueur mathématique et pertinence biologique.

7 Lien vers le projet

8 Cas d’usage et perspectives

On pourrait imaginer ainsi que la lactosémie n’est plus seulement un paramètre académique : utilisée sur le terrain, elle se révèle un levier opérationnel pour

  1. Sécuriser la transition énergétique post-vêlage
  2. Repérer les mammites subcliniques avant les hausses de cellules
  3. Ajuster la cadence de traite sur robots
  4. Enrichir les tableaux de bord sanitaires

Avec des capteurs abordables, un protocole d’échantillonnage limité et des seuils simples, l’éleveur ou le technicien peut transformer une mesure biologiquement fine en gain économique tangible.

9 Annexe 1 : packages utilisés

Dans cette section, nous listons les packages utilisés dans cette analyse :

Package Fonction Utilisation Source
car Anova Anova type III (7)
car cor Corrélation (7)
emmeans emmeans Moyenne ajustée (8)
FactoMineR PCA ACP (9)
hydroGOF rmse RMSE (10)
lme4 lmer Modèle linéaire mixte (11)
lmerTest step Backward modèle (12)
MuMin r.squaredGLMM R² modèle (13)
r2glmm r2beta R² partiel (14)

10 Références

1.
Reist M, Erdin D, Euw D von, Tschuemperlin K, Leuenberger H, Chilliard Y, et al. Estimation of Energy Balance at the Individual and Herd Level Using Blood and Milk Traits in High-Yielding Dairy Cows. Journal of Dairy Science. 2002;85(12):3314‑27.
2.
Stelwagen K, Farr VC, McFadden HA, Prosser CG, Davis SR. Time Course of Milk Accumulation–Induced Opening of Mammary Tight Junctions and Blood Clearance of Milk Components. American Journal of Physiology–Regulatory, Integrative and Comparative Physiology. 1997;273(1 Pt 2):R379‑86.
3.
Charton C, Larroque H, Robert-Granié C, Pomiès D, Leclerc H, Friggens NC, et al. Individual Responses of Dairy Cows to a 24-Hour Milking Interval. Journal of Dairy Science. 2016;99(4):3103‑12.
4.
Decoopman N. Contribution à la compréhension des variations de la lactosémie chez la vache laitière [Internet] [Thèse pour le diplôme d’État de Docteur Vétérinaire]. [Nantes, France]: Oniris — École nationale vétérinaire, agroalimentaire et de l’alimentation Nantes‐Atlantique; 2019. Disponible sur: https://ncsdecoopman.github.io/assets/pdf/Decoopman_2019_These.pdf
5.
Decoopman N, Guinard-Flament J, Resmond R. Lactose sanguin et lactose du lait : caractérisation de leurs facteurs de variation chez la vache laitière. Bulletin de l’Académie Vétérinaire de France. 2022;175.
6.
RStudio Team. RStudio: Integrated Development for R [Internet]. 2018. Disponible sur: http://www.rstudio.com/
7.
Fox J, Weisberg S. An R Companion to Applied Regression. Thousand Oaks, CA: Sage; 2011.
8.
Lenth RV. Emmeans: Estimated Marginal Means, aka Least-Squares Means. R package version 134 [Internet]. 2019; Disponible sur: https://CRAN.R-project.org/package=emmeans
9.
Lê S, Pagès J, Julien MH, Bécue N, Husson N. FactoMineR: An R Package for Multivariate Analysis. Journal of Statistical Software [Internet]. 2008;25(1). Disponible sur: https://www.jstatsoft.org/v25/i01/
10.
Zambrano-Bigiarini MA. hydroGOF: Goodness-of-Fit Measures for Comparison of Simulated and Observed Hydrological Time Series. R package version 03-10 [Internet]. 2017; Disponible sur: https://CRAN.R-project.org/package=hydroGOF
11.
Bates D, Maechler M, Bolker B, Walker S. Fitting Linear Mixed-Effects Models Using lme4. Journal of Statistical Software [Internet]. 2015;67(1). Disponible sur: https://www.jstatsoft.org/v67/i01/
12.
Kuznetsova A, Per B. Brockhoff, Christensen RHB. lmerTest Package: Test in Linear Mixed Effects Models. Journal of Statistical Software [Internet]. 2017;82(13). Disponible sur: https://www.jstatsoft.org/v82/i13/
13.
Barton K. MuMIn: Multi-Model Inference. R package version 1421 [Internet]. 2018; Disponible sur: https://CRAN.R-project.org/package=MuMIn
14.
Jaeger LFK. r2glmm: R-squared for Generalized Linear Mixed Models. R package version 012 [Internet]. 2017; Disponible sur: https://CRAN.R-project.org/package=r2glmm